La NTIA informe le Congrès de la nécessité de maintenir en vigueur le contrat liant l’ICANN au Department of Commerce août 23, 2015
Le 17 août dernier, M. Lawrence E. Strickling, secrétaire adjoint chargé des communications et de l’information de la NTIA (National Telecommunications & Information Administration), a annoncé avoir informé le Congrès de la nécessité de renouveler le contrat liant l’ICANN au Department of Commerce.
Quelles conséquences ?
Cette décision constitue un véritable coup d’arrêt aux velléités d’indépendance de l’ICANN et au développement d’un internet internationalisé échappant à la mainmise américaine. L’espoir d’une diminution de l’influence étasunienne sur l’ICANN avait grandi l’année dernière, lorsque la NTIA avait annoncé que la fonction IANA serait transférée à une communauté multipartites. Ce transfert devait s’opérer en plusieurs étapes afin de s’assurer que le secteur « privé » serait en capacité d’assurer une telle charge. Dans un communiqué de presse, la NTIA rappelait par ailleurs que la mainmise américaine sur la gestion du DNS ne pouvait être que temporaire, le transfert au secteur privé ayant été envisagé dès la création de l’ICANN :
From the inception of ICANN, the U.S. Government and Internet stakeholders envisioned that the U.S. role in the IANA functions would be temporary.
NTIA, Communiqué de presse du 14 mars 2014, consultable ici.
Nombreux furent les commentateurs à espérer une gestion internationale du DNS, sous contrôle d’une organisation internationale comme l’ONU. Or, il fut clair, dès le départ, que les États-Unis s’opposeraient à une telle éventualité. Ainsi, dans le communiqué de presse du 14 mars 2014, la NTIA prenait soin de rappeler qu’elle s’opposerait à une telle proposition :
Consistent with the clear policy expressed in bipartisan resolutions of the U.S. Senate and House of Representatives (S.Con.Res.50 and H.Con.Res.127), which affirmed the United States support for the multistakeholder model of Internet governance, NTIA will not accept a proposal that replaces the NTIA role with a government-led or an inter-governmental organization solution.
NTIA, Communiqué de presse du 14 mars 2014.
Les espoirs d’une transition rapide du DNS management étaient dont faibles. Ceux-ci renaissaient à chaque expiration du Memorandum of Understanding, contrat conclu entre l’ICANN et le Department of commerce américain. Le premier MoU fut conclu le 25 novembre 1998, et prévoyait notamment une coopération entre le DoC et l’ICANN. Ainsi, les deux parties devaient « concevoir, développer, et tester les mécanismes, méthodes, et procédures qui achèveraient la transition » (MoU du 25 novembre 1998, consultable sur le site de l’ICANN). Le MoU devait expirer le 30 septembre 2000; or, six amendements successifs permirent à celui-ci de rester en vigueur jusqu’en septembre 2006. Le MoU fut par la suite remplacé par le JPA (Joint Project Agreement). Expirant le 30 septembre 2009, le JPA fut remplacé par l’Affirmation of Commitments (AoC). Celui-ci, reconnaissant notamment le rôle joué par le comité consultatif gouvernemental, ambitionne également « d’institutionnaliser et d’immortaliser la coordination technique du système de noms de domaine et d’adressage d’internet (DNS), à l’échelle mondiale par une organisation du secteur privé » (article premier de l’Affirmation of Commitments).
Le dernier contrat liant l’ICANN au Department of Commerce américain devait expirer le 30 septembre 2015. Cela ne sera pas le cas. Selon M. Lawrence E. Strickling, il fut demandé, à la communauté, au cours du mois de mai, le temps nécessaire pour finaliser les documents nécessaires à la transition. La date de septembre 2016 fut alors avancée.
After factoring in time for public comment, U.S. Government evaluation and implementation of the proposals, the community estimated it could take until at least September 2016 to complete this process.
STRICKLING (Lawrence E.), « An update on the IANA transition », www.ntia.doc.gov, 17 août 2015, consultable ici.
Le contrat devrait, selon toute vraisemblance, être maintenu en vigueur jusqu’en septembre 2016.
Pour autant, la NTIA souhaite conserver une marge de manœuvre afin de pouvoir maintenir le contrat liant l’ICANN et le DoC. En effet, le secrétaire adjoint prend soin de préciser que la NTIA dispose « d’options afin d’étendre, si nécessaire, le contrat pour une durée de trois années supplémentaires ».
Un point positif doit cependant être impérativement relevé : la NTIA a également demandé à l’ICANN et à Verisign (gestionnaire du root file) « de soumettre une proposition détaillant la meilleure manière de supprimer le rôle joué par la NTIA en matière de gestion de la root zone« . Ce point, peu relevé, est pourtant d’une importance cruciale.
Des réactions partagées
La volonté de diminuer l’influence américaine sur l’ICANN a notamment été entretenue par plusieurs États, dont la France et le Brésil, mais également l’ICANN elle-même. Son président, M. Fadi Chéhadé (dont la démission interviendra au mois de mars 2016), avait en effet appelé, à de nombreuses reprises, à une plus grande indépendance de l’ICANN.
La décision de la NTIA a notamment été commentée par Mme Axelle Lemaire, qui estime que le processus entamé l’année dernière « n’est pas remis en cause » (cf. BEKY A., « Internationalisation de l’ICANN : pour Axelle Lemaire; rien n’est perdu, www.silicon.fr, 18 août 2015, disponible à cette adresse).
Si la nouvelle a fait réagir de nombreux sites favorables à une transition rapide, il est possible de consulter une autre réaction d’un commentateur soulignant l’importance du rôle joué par les États-Unis dans la gestion du DNS. Celui-ci (FEULNER E., « Ensuring a free and open Internet », www.washingtontimes.com, 17 août 2015, consultable à cette adresse) et qui estime que le processus de transition a permis à certains États de tenter d’accroître l’influence des gouvernements dans la gestion du DNS. Il rappelle ainsi que le rôle joué par les États-Unis est « crucial », et ce notamment afin de conserver un internet libre et ouvert. L’article cite également l’inquiétude liée à la problématique du droit à l’oubli et les tentatives de la CNIL visant à faire respecter ce droit par Google.
Le DOTCOM Act
Le DOTCOM Act (Domain Openness Through Continued Oversight Matters Act of 2015, H.R. 805) – déposé à la Chambre des représentants le 5 février 2015 et au Sénat le 24 juin 2015 – est une proposition de loi visant à garantir au Congrès une période de trente jours d’examen, dans le cas où un rapport relatif à la transition de la fonction IANA serait soumis au Congrès. Ainsi, durant ces trente jours, le secrétaire adjoint aux communications et à l’information – M. Lawrence E. Strickling – serait dans l’impossibilité de mettre fin au rôle joué par la NTIA.
Le rapport devant être soumis au Congrès devrait également répondre à plusieurs exigences. D’une part, ce rapport doit être relatif au processus de transition « convenu par l’ICANN à la demande de la NTIA ». D’autre part, le secrétaire adjoint doit également certifier que la proposition contenue dans le rapport doit être favorable au développement du modèle « multistakeholder »; que cette proposition permette de maintenir « la sécurité, la stabilité, et la résilience du DNS »; qu’elle satisfasse les besoins et les attentes des clients et partenaires de l’ICANN »; qu’elle maintienne le modèle de l’Internet libre, et que le rôle joué par la NTIA n’incombe pas à des gouvernements ou à une organisation intergouvernementale. Enfin, les modifications apportées aux bylaws de l’ICANN doivent être adoptées.
Ainsi, si le processus de transition semble n’essuyer qu’un simple retard, le chemin est encore long avant de voir la fonction IANA soumise à une influence américaine réduite. Cependant, il est nécessaire de noter qu’une fois la fonction IANA sortie du giron du Department of Commerce, il sera temps de s’interroger sur la volonté réelle de la NTIA de voir rompus les liens actuellement entretenus avec Verisign, qui gère le root file. Si les évolutions semblent se poursuivre dans le bon sens, malgré ce contretemps, il convient de ne pas oublier que l’origine des espoirs d’une plus grande indépendance de l’ICANN et du véritable développement d’un modèle multiskateholder datent de 1998, et donc de la création de l’ICANN.
Pour aller plus loin :
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FROOMKIN (M.), « Almost Free : An Analysis of ICANN’s ʺaffirmation of Commitmentsʺ », 9 J. on Telecomm. & High Tech. L. 187, 2011, p. 192 (disponible sur le site de la New York University School of Law à l’adresse <http://www.law.nyu.edu/sites/default/files/ECM_PRO_067688.pdf>).
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IANA Stewarship Transition Proposal : Call for Public Comment, www.ianacg.org, disponible à l’adresse : https://www.ianacg.org/calls-for-input/combined-proposal-public-comment-period/
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An update on NTIA’s Announcement to Extend IANA Functions Contrat, 18 août 2015, www.icann.org, disponible à l’adresse : https://www.icann.org/news/blog/an-update-on-ntia-s-announcement-to-extend-iana-functions-contract
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H.R.805 DOTCOM Act of 2015, 114th Congress 2015-2016, consultable à cette adresse : https://www.congress.gov/bill/114th-congress/house-bill/805