Valentin Boullier

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Des nouvelles de Californie : l’AB-1681 avril 6, 2016

Mise à jour du 14 avril 2016 : l’AB-1681 a été rejetée en comité. L’EFF note cependant que le député à l’origine du texte souhaite redéposer une proposition de loi similaire à la prochaine session.

 

Si le litige entre Apple et le FBI est actuellement au centre de toutes les attentions, il serait regrettable de détourner le regard de propositions de lois relatives au chiffrage des téléphones. En effet, l’actualité législative fédérée est particulièrement soutenue ces derniers temps. Ainsi, un représentant à l’Assemblée de Californie a récemment introduit une proposition de loi, l’AB-1681.

La législation de la Californie, terre de la Silicon Valley et bastion des géants du numérique, est souvent mise en avant pour son habilité à comprendre les enjeux du numérique tout en sauvegardant les droits et libertés fondamentaux. Ainsi, la Californie a récemment adopté plusieurs propositions de lois permettant une meilleure protection de ceux-ci, comme la SB-74 (interception des communications électroniques d’un téléphone possible seulement après l’obtention d’un mandat), l’AB-856 (interdiction de la captation d’images à partir d’un drone), l’AB-1116 (prohibition des enregistrements de conversations privées par une smart TV), la SB-34 (plaques d’immatriculation), la SB-249 (consultation des permis de conduire), ou encore la SB-178. Cette dernière est la plus ambitieuse : elle impose notamment l’obtention d’un mandat avant toute interception de communications électroniques. Appelée « CALECPA », pour « California Electronic Communications Protection Act », en référence au célèbre Electronic Communications Protection Act de 1986, cette loi a été largement saluée par les associations de défense des libertés, comme l’ACLU ou l’EFF. Celle-ci a en effet restreint les possibilités d’interception de communications par les agences gouvernementales. Elle est cependant critiquée pour son inefficacité et a été sérieusement amendée par le US Patriot Act. Devant un panorama californien aussi favorable aux droits et libertés fondamentaux, il est intéressant de noter que l’État de Californie a parfois été le laboratoire de nouvelles technologies pouvant gravement attenter aux libertés.

Cette proposition de loi tente, au nom de la lutte contre le trafic d’êtres humains, d’empêcher les constructeurs et les développeurs de système d’exploitation de téléphones de mettre en œuvre des capacités de chiffrage trop élaborées. En effet, lorsque cette proposition de loi a été déposée, celle-ci prévoyait une forte amende (2500 dollars pour chaque smartphone vendu ou mis en leasing) lorsque les deux acteurs mentionnés étaient dans l’impossibilité de décrypter ou de débloquer les smartphones. Au vu des actualités impliquant Apple et le FBI, l’enjeu est de taille. Très vite, les associations de défense des libertés, comme l’EFF, se sont inquiétées des dérives possibles.

Au cours du processus législatif, la proposition a été profondément remaniée. Par des amendements en date du 8 et du 28 mars, les constructeurs et les développeurs du système d’exploitation ne s’exposent plus qu’à 2500 dollars d’amende à chaque instance engagée lorsque ceux-ci ont été dans l’incapacité de débloquer ou décrypter le smartphone malgré l’existence d’une ordonnance judiciaire – ce qui réduit très nettement l’impact de la proposition. La proposition prend soin de préciser qu’en cas de condamnation, le constructeur ou le développeur du système d’exploitation ne pourront pas répercuter l’amende sur le consommateur.

Une proposition de loi similaire a été déposée dans l’État de New York. L’AB-8093 prévoit que « tout smartphone assemblé après le premier janvier 2016 [la date n’a pas été modifié depuis le dépôt de la proposition à l’Assemblée de l’État de New York, ndlr] devra pouvoir être décrypté ou débloqué par son fabricant ou le développeur du système d’exploitation ». La sanction à cette obligation consisterait au paiement d’une amende de 5000 dollars par téléphone vendu ou proposé en leasing, si le vendeur savait au moment de la vente (ou du leasing) que le téléphone ne pouvait pas être débloqué ou déchiffrer. En revanche, une « immunité » serait instituée, dans l’hypothèse où le téléphone ne peut être débloqué ou déchiffré en raison du comportement de l’acheteur : ainsi, si ce dernier rend son téléphone indéchiffrable (par exemple, en rajoutant des programmes permettant d’assurer un chiffrage incassable par le développeur ou le fabricant), la responsabilité du fabricant ou du développeur du système d’exploitation ne pourrait être engagée. Cette immunité ne serait valable que si ces « actions » n’ont pas été autorisées par ces derniers.

Une autre proposition de loi rassure cependant les associations de défense des libertés : le Encrypt Act of 2016 (Ensuring National Constitutional Rights for Your Private Telecommunications Act of 2016 – il est intéressant de noter que le nom de la proposition mentionne le terme constitutional : ainsi, les auteurs semblent considérer que la surveillance porte atteinte aux amendements de la Constitution impactant la privacy comme le quatrième amendement). Cette proposition de loi, déposée à la Chambre des représentants par plusieurs députés – dont un californien – vise à empêcher, entre autres, les États fédérés d’imposer aux constructeurs/développeurs de systèmes d’exploitation l’altération ou le développement de fonctionnalités de sécurité afin de permettre la surveillance des utilisateurs ou une fouille physique de l’appareil. De même, cette loi pourrait empêcher les agences gouvernementales de décrypter ou de « rendre intelligibles » des informations chiffrées. Enfin, un État fédéré ne pourrait interdire la vente d’un produit possédant des capacités de chiffrage.

Sources :

-Texte de l’AB-1681 : https://leginfo.legislature.ca.gov/faces/billTextClient.xhtml?bill_id=201520160AB1681

-Texte de l’AB-8093 : http://legislation.nysenate.gov/pdf/bills/2015/A8093

-Texte du H.R. 4528 : https://www.congress.gov/bill/114th-congress/house-bill/4528/text

-ANONYME, www.asmdc.org, Cooper Introduces Human Trafficking Evidentiary Access Legislation, mis en ligne le 20 janvier 2016, consulté le 31 mars 2016, accessible à l’adresse <http://asmdc.org/members/a09/news-room/press-releases/cooper-introduces-human-trafficking-evidentiary-access-legislation>

-ANONYME, eastcountytoday.net, AB 1681 : Assemblyman Wants to Ban Encrypted Phones, mis en ligne le 24 janvier 2016, consulté le 31 mars 2016, accessible à l’adresse <http://eastcountytoday.net/ab-1681-assemblyman-wants-to-ban-encrypted-phones/>

-BARRETT (B.), www.wired.com, New Bill Aims to Stop State-Level Decryption Before its Starts, mis en ligne le 10 février 2016, consulté le 31 mars 2016, accessible à l’adresse <http://www.wired.com/2016/02/encrypt-act-2016/>

-CROCKER (A.), www.eff.org, Worried about Apple ? California Has a Bill That Would Disable Encryption on all Smartphones, publié le 9 mars 2016, consulté le 31 mars 2016, accessible à l’adresse <https://www.eff.org/deeplinks/2016/03/worried-about-apple-california-has-bill-would-disable-encryption-all-phones>

-FARIVAR (C.), arstechnica.com, Yet another bill seeks to weaken encryption-by-default on smartphones, publié le 21 janvier 2016, consulté le 31 mars 2016, accessible à l’adresse <http://arstechnica.com/tech-policy/2016/01/yet-another-bill-seeks-to-weaken-encryption-by-default-on-smartphones/>

-KEATING (L.), www.techtimes.com, California Proposes A Bill That Would Ban The Sale Of Encrypted Smartphones, mis en ligne le 21 janvier 2016, consulté le 31 mars 20146, accessible à l’adresse <http://www.techtimes.com/articles/126659/20160121/california-proposes-bill-ban-sale-encrypted-smartphones.htm>