Valentin Boullier

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Bref arrêt sur la proposition de loi relative à la suppression de la publicité commerciale dans les programmes jeunesse de la télévision publique septembre 17, 2015

La proposition de loi

La proposition de loi n°656, déposée à la présidence le 24 juillet 2015 et présentée par M. André Gattolin (Groupe Écologiste), sera discutée le 21 octobre 2015 au Sénat. Cette proposition de loi vise à limiter considérablement la publicité commerciale avant et après la diffusion de programmes jeunesse diffusés sur les chaînes de la télévision publique. De même, les spots publicitaires ne pourront plus être diffusés pendant un programme jeunesse, comme c’est le cas actuellement. Il est intéressant de noter que si cette proposition de loi concerne la télévision, elle concerne également les sites web qui diffusent des programmes jeunesse.

L’exposé des motifs souligne la forte exposition des enfants et des adolescents aux médias, et plus particulièrement à la télévision. Selon M. Gattolin, « la France fait partie des pays développés où les enfants et adolescents sont les plus exposés aux messages publicitaires ou commerciaux », et demeure un des principaux « marché enfants » en Europe. En effet, la publicité constitue un moyen privilégié pour exploiter la crédulité des mineurs (cf. les publicités proposant de composer un numéro téléphonique pour accéder à des services commerciaux). Ainsi, les mineurs deviennent exposés « de plein fouet aux sollicitations du marché » (GAUTELLIER (C.) « Consommation médiatique des jeunes, un double enjeu d’éducation et de régulation », Les Cahiers Dynamiques, 2/2010, n° 47, p. 38.). Une protection est donc nécessaire.

Quel est le régime de protection actuel ?

Cette protection est notamment mise en oeuvre par le CSA.

L’objectif est de protéger « l’épanouissement physique, mental ou moral des mineurs ». Si cette disposition (article 15 de la loi n°86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication) s’applique aux programmes, les publicités doivent également s’abstenir de nuire à cet épanouissement. Le CSA remplit donc un rôle de « gardien ». En revanche, la signalétique, dorénavant posée comme une protection incontournable, ne s’applique pas aux publicités.

Le Conseil supérieur de l’audiovisuel apporte traditionnellement une vigilance particulière à l’encadrement des pratiques publicitaires principalement orientées vers les mineurs.

Recommandation n° 2006-4 du 7 juin 2006 aux éditeurs de services de télévision relative à des pratiques publicitaires liées à la diffusion d’oeuvres d’animation et de fiction à destination des mineurs.

La vigilance du CSA peut également être illustrée par la recommandation n° 2006-4 du 7 juin 2006 qui aborde le danger que peuvent constituer les produits dérivés. En effet, de nombreux programmes jeunesse comportent des personnages ou des objets qui font par ailleurs l’objet d’une exploitation commerciale : le CSA pointe donc le « risque de confusion dans l’esprit du jeune téléspectateur ». Ainsi, le CSA avait recommandé des règles relatives à la diffusion : « sa première diffusion ne doit pas avoir lieu pendant la période de lancement de la commercialisation de ce produit ou service sur le territoire national »; si les produits dérivés sont la conséquence d’une diffusion d’un programme, l’insertion de spots publicitaires est alors réglementée, et un délai de quarante-cinq minutes est imposé entre la diffusion du programme et la diffusion des sports publicitaires.

Enfin, afin de contrer les publicités pouvant avoir des effets redoutables sur des mineurs, le CSA a par exemple adopté une délibération enjoignant aux publicitaires de s’abstenir de créer et de diffuser des publicités relatives aux jeux d’argent ou de hasard utilisant des « personnages ou […] héros appartenant à l’univers des enfants ou des adolescents ou disposant d’une notoriété particulièrement forte auprès de ces publics » (délibération du 27 avril 2011 relative aux conditions de diffusion des communications commerciales en faveur desopérateurs de jeux d’argent et de hasard, II°, B; 2). De manière plus générale, la publicité doit s’abtenir de « porter un préjudice moral ou physique aux mineurs » :

A cette fin, elle ne doit pas :

1° Inciter directement les mineurs à l’achat d’un produit ou d’un service en exploitant leur inexpérience ou leur crédulité ;

2° Inciter directement les mineurs à persuader leurs parents ou des tiers d’acheter les produits ou les services concernés ;

3° Exploiter ou altérer la confiance particulière que les mineurs ont dans leurs parents, leurs enseignants ou d’autres personnes ;

4° Présenter sans motif des mineurs en situation dangereuse ».

Article 7 du Décret n°92-280 du 27 mars 1992 pris pour l’application des articles 27 et 33 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 et fixant les principes généraux définissant les obligations des éditeurs de services en matière de publicité, de parrainage et de télé-achat (article modifié par le décret 2001-1331 2001-12-28 art. 2 et 4 JORF 29 décembre 2001).

Une protection européenne ?

La directive européenne 2010/13/UE aborde notamment le problème de la publicité.

Par conséquent, elles [les communications commerciales audiovisuelles] ne doivent pas inciter directement les mineurs à l’achat ou à la location d’un produit ou d’un service en exploitant leur crédulité, inciter directement les mineurs à persuader leurs parents ou des tiers d’acheter les produits ou les services faisant l’objet de la publicité, exploiter la confiance particulière que les mineurs ont dans leurs parents, leurs enseignants ou d’autres personnes, ou présenter sans motif des mineurs en situation dangereuse ».

Directive 2010/13/UE du Parlement européen et du Conseil du 10 mars 2010 visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres relatives à la fourniture de services de médias audiovisuels.

Enfin, il peut être utile de mentionner la convention européenne sur la télévision transfrontalière qui mentionne, en son article 11, que « la publicité et le télé-achat destinés aux enfants ou faisant appel à des enfants doivent éviter de porter préjudice aux intérêts de ces derniers et tenir compte de leur sensibilité particulière ».

La protection des mineurs est actuellement mise en oeuvre par le CSA. Par exemple, l’Assemblée plénière était intervenue auprès de NT1, qui avait diffusé, en milieu de journée, une publicité destinée à un public adulte :

Il a considéré que ce manquement était d’autant plus regrettable que cette diffusion s’est déroulée à délai rapproché d’une série familiale et entre deux publicités en faveur de produits destinés en partie aux enfants.

Décision de l’Assemblée plénière du CSA du 1er octobre 2014, publiée le 23 octobre 2014, consultable ici.

 

La proposition de loi est donc radicale. Celle-ci pourrait modifier la loi de 1986. Il est à noter que la proposition de loi exclut les campagnes d’intérêt général ainsi que les « publicités non commerciales pour des biens ou services présentés sous leur appellation générique ». Si l’application de ce nouvel article VI bis de la loi de 1986 engendre des charges pour l’État, il est prévu une compensation par la création d’une « taxe additionnelle aux droits sur les tabacs ».

Pour aller plus loin :

  • Exemple de la Suisse : loi fédérale sur la radio et la télévision entrée en vigueur le 1er avril 2007, art. 13, al. 1er. Dossier à consulter ici.
  • Exemple de l’Allemagne : document à consulter ici (en Allemand).

 

  • Proposition de loi enregistrée à la Présidence du Sénat le 24 juillet 2015 relative à la suppression de la publicité commerciale dans les programmes jeunesse de la télévision public, site du Sénat.
  • Loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication.
  • Décret n°92-280 du 27 mars 1992 pris pour l’application des articles 27 et 33 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 et fixant les principes généraux définissant les obligations des éditeurs de services en matière de publicité, de parrainage et de télé-achat.
  • Recommandation du 7 juin 2006 aux éditeurs de services de télévision relative à des pratiques publicitaire liées à la diffusion d’oeuvres d’animation et de fiction à destination des mineurs.
  • Recommandation n° 2006-4 du 7 juin 2006 aux éditeurs de services de télévision relative à des pratiques publicitaires liées à la diffusion d’oeuvres d’animation et de fiction à destination des mineurs.
  • Délibération n°2011-09 du 27 avril 2011 relative aux conditions de diffusion, par les services de télévision et de radio, des communications commerciales en faveur d’un opérateur de jeux d’argent et de hasard légalement autorisé.
  • Directive 2010/13/UE du Parlement européen et du Conseil du 10 mars 2010 visant à la coordination de certaines dispositions législtaives, réglementaires et administratives des Etats membres relatives à la fourniture de services de médias audiovisuels.
  • Convention européenne sur la télévision transfrontière.