Valentin Boullier

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Archives du mois : septembre 2015

Bref arrêt sur le H.R. 1428 Judicial Redress Act of 2015 septembre 21, 2015

Déposé à la Chambre des Représentants le 18 mars 2015, le Judicial Redress Act of 2015 a été approuvé par le House Judiciary Committee le 17 septembre. La proposition de loi sera donc bel et bien soumise au vote de la Chambre des Représentants. Louée par les grands acteurs du Web, cette proposition de loi vise, selon les mots de son rédacteur, M. Sensenbrenner – auteur du US Patriot Act mais également du USA Freedom Act-, à rendre possible la conclusion de l’Umbrella Agreement – censé accroître la protection des données personnelles – entre les États-Unis et l’Union européenne.

Actuellement, les États-Unis opèrent une distinction entre citoyens américains et citoyens étrangers pour l’accès aux données personnelles détenues par les agences fédérales, et ainsi empêchent les citoyens non-américains d’intenter un recours contre les agences fédérales si celles-ci refusent de leur accorder un acccès ou d’opérer une rectification sur lesdites données. Le Judicial Redress Act vise à abolir cette distinction, et donc à étendre aux citoyens non-américains les dispositions du Privacy Act of 1974. Cependant, cette extension ne pourra bénéficier qu’aux personnes étrangères citoyennes de pays ou d’une organisation économique régionale ayant conclu avec les États-Unis un accord prévoyant, sous condition de respect de certaines protections s’appliquant aux données personnelles, le transfert de données dans le but de « prévenir, enquêter, détecter, ou poursuivre des délits ». L’extension pourra également être applicable si un échange effectif de données a eu lieu dans le passé entre les États-Unis.

Ainsi, si cette proposition de loi est votée, les citoyens européens pourraient intenter une action contre les agences américaines en vue d’obtenir des dommages et intérêts :

« With respect to covered records, a covered person may bring a civil action against an agency and obtain civil remedies, in the same manner, to the same extent, and subject to the same limitations, including exemptions and exceptions »

Il est cependant nécessaire de noter que les exceptions à un tel droit s’appliqueraient aux citoyens américains comme aux citoyens non-américains : ainsi, ce droit ne pourrait s’exercer dans le cas où les données concernées touchent la sécurité nationale.

L’Union européenne n’est pas expréssement mentionnée dans la proposition. Pourtant, l’auteur du texte estime avoir rédigé cette proposition « sur-mesure » pour l’Union. En effet, dans un article publié dans The Hill, M. Sensenbrenner mentionne exclusivement l’Union européenne et indique que les citoyens américains disposent d’ores et déjà d’une action similaire en Europe. L’objectif de ce texte est simple, et l’auteur de celui-ci l’indique explicitement : d’une part, il s’agit de rétablir la confiance des européens dans les relations UE/US, et ainsi éviter de déstabiliser les intérêts américains en Europe, et, d’autre part, de permettre le transfert de données dans le but de protéger les États-Unis. Ainsi, si le rétablissement de la confiance de l’Union européenne réclame un tel texte pour permettre la continuation de transferts de données personnelles à destination des États-Unis, l’auteur estime que ce texte est amplement justifié.

« In many ways, it’s a privacy bill—backed and supported by many of our country’s top privacy advocates—but make no mistake, the Judicial Redress Act is a crucial element to our law enforcement strategy. »

  SENSENBRENNER (J.), « The Judicial Redress Act is essential to U.S. law enforcement », www.thehill.com, publié le 17 septmbre 2015, consulté le 21 septembre 2015, disponible à l’adresse : <http://thehill.com/blogs/congress-blog/homeland-security/253874-the-judicial-redress-act-is-essential-to-us-law>

En effet, la Commission européenne a clairement indiqué que la conclusion de l’Umbrella Agreement ne pourrait être opérée que si le Judicial Redress Act était voté :

« The Umbrella Agreement will be signed and formally concluded only after the US Judicial Redress Bill, granting judicial redress rights to EU citizens, will have been adopted »

European Commission – Fact Sheet, « Questions and Answers on the EU-US data protection « Umbrella agreement », publié le 8 septembre 2015, consulté le 21 septembre 2015, disponible à l’adresse : <http://europa.eu/rapid/press-release_MEMO-15-5612_en.htm>

Les grands acteurs du Web ont favorablement accueilli la proposition. Ainsi, dans une lettre ouverte notamment cosignée par Facebook, Google, Microsoft, Yahoo, ou la U.S. Chamber of Commerce, ces acteurs soulignent les conséquences néfastes des révélations concernant la surveillance des communications électriques :

« The last two years have seen a significant erosion of global public trust in both the U.S. government and the the U.S. technology sector. As a result, U.S. companies across all sectors are suffering negative commercial consequences abroad, including loss of contracts […] ».

Lettre ouverte du 28 avril 2015, consultable ici (fichier .pdf).

Une fois de plus, c’est l’intérêt américain qui est mis en avant :

« Transnational data flows serve as a key component of the digital trade that increasingly drives U.S. economic growth. […] It will serve as a clear signal to our European allies that they can feel comfortable sharing critical law enforcement information across the Atlantic ».

En revanche, d’autres acteurs soulignent le fait que cette proposition de loi est limitée : ainsi, l’EPIC (Electronic Privacy Information Center) remarque que si le Privacy Act prévoit quatre possibilités d’intenter une action contre une agence, le Judicial Redress Act of 2015 n’en prévoit qu’une : la seule base légale pour une action intentée par un citoyen non-américain serait la divulgation de données personnelles sans son consentement (hors exceptions légales). De même, un citoyen non-américain ne pourrait, à titre d’illustration, intenter une action en raison d’un refus de délivrance de visa motivé par des données personnelles erronées. La recommandation principale de l’EPIC est donc simple : reconnaître aux citoyens non-américains les mêmes droits qu’un citoyen américain. D’autres recommandations sont également avancées par l’EPIC, toujours dans le but de mieux assurer la protection des citoyens non-américains. La lettre ouverte peut être librement consultée ici (fichier .pdf).

Pour aller plus loin :

  • H.R. 1428 To extend Privacy Act remedies to citizens of certified states, and for other purposes, consultable ici.
  • SENSENBRENNER (J.), « The Judicial Redress Act is essential to U.S. law enforcement », www.thehill.com, consultable ici.
  • SANKIN (A.), « Congress just took a major step to protect foreigners’ privacy », www.dailydot.com, consultable ici.
  • Site de l’EPIC.
  • GREENFIELD (H.), « Tech Industry Praises House Judiciary Committee Approval Of Judicial Redress Act », www.ccianet.org, consultable ici.
  • U.S. Code, Title 5, Section 552 & section 552(a), à lire ici.

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Bref arrêt sur la proposition de loi relative à la suppression de la publicité commerciale dans les programmes jeunesse de la télévision publique septembre 17, 2015

La proposition de loi

La proposition de loi n°656, déposée à la présidence le 24 juillet 2015 et présentée par M. André Gattolin (Groupe Écologiste), sera discutée le 21 octobre 2015 au Sénat. Cette proposition de loi vise à limiter considérablement la publicité commerciale avant et après la diffusion de programmes jeunesse diffusés sur les chaînes de la télévision publique. De même, les spots publicitaires ne pourront plus être diffusés pendant un programme jeunesse, comme c’est le cas actuellement. Il est intéressant de noter que si cette proposition de loi concerne la télévision, elle concerne également les sites web qui diffusent des programmes jeunesse.

L’exposé des motifs souligne la forte exposition des enfants et des adolescents aux médias, et plus particulièrement à la télévision. Selon M. Gattolin, « la France fait partie des pays développés où les enfants et adolescents sont les plus exposés aux messages publicitaires ou commerciaux », et demeure un des principaux « marché enfants » en Europe. En effet, la publicité constitue un moyen privilégié pour exploiter la crédulité des mineurs (cf. les publicités proposant de composer un numéro téléphonique pour accéder à des services commerciaux). Ainsi, les mineurs deviennent exposés « de plein fouet aux sollicitations du marché » (GAUTELLIER (C.) « Consommation médiatique des jeunes, un double enjeu d’éducation et de régulation », Les Cahiers Dynamiques, 2/2010, n° 47, p. 38.). Une protection est donc nécessaire.

Quel est le régime de protection actuel ?

Cette protection est notamment mise en oeuvre par le CSA.

L’objectif est de protéger « l’épanouissement physique, mental ou moral des mineurs ». Si cette disposition (article 15 de la loi n°86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication) s’applique aux programmes, les publicités doivent également s’abstenir de nuire à cet épanouissement. Le CSA remplit donc un rôle de « gardien ». En revanche, la signalétique, dorénavant posée comme une protection incontournable, ne s’applique pas aux publicités.

Le Conseil supérieur de l’audiovisuel apporte traditionnellement une vigilance particulière à l’encadrement des pratiques publicitaires principalement orientées vers les mineurs.

Recommandation n° 2006-4 du 7 juin 2006 aux éditeurs de services de télévision relative à des pratiques publicitaires liées à la diffusion d’oeuvres d’animation et de fiction à destination des mineurs.

La vigilance du CSA peut également être illustrée par la recommandation n° 2006-4 du 7 juin 2006 qui aborde le danger que peuvent constituer les produits dérivés. En effet, de nombreux programmes jeunesse comportent des personnages ou des objets qui font par ailleurs l’objet d’une exploitation commerciale : le CSA pointe donc le « risque de confusion dans l’esprit du jeune téléspectateur ». Ainsi, le CSA avait recommandé des règles relatives à la diffusion : « sa première diffusion ne doit pas avoir lieu pendant la période de lancement de la commercialisation de ce produit ou service sur le territoire national »; si les produits dérivés sont la conséquence d’une diffusion d’un programme, l’insertion de spots publicitaires est alors réglementée, et un délai de quarante-cinq minutes est imposé entre la diffusion du programme et la diffusion des sports publicitaires.

Enfin, afin de contrer les publicités pouvant avoir des effets redoutables sur des mineurs, le CSA a par exemple adopté une délibération enjoignant aux publicitaires de s’abstenir de créer et de diffuser des publicités relatives aux jeux d’argent ou de hasard utilisant des « personnages ou […] héros appartenant à l’univers des enfants ou des adolescents ou disposant d’une notoriété particulièrement forte auprès de ces publics » (délibération du 27 avril 2011 relative aux conditions de diffusion des communications commerciales en faveur desopérateurs de jeux d’argent et de hasard, II°, B; 2). De manière plus générale, la publicité doit s’abtenir de « porter un préjudice moral ou physique aux mineurs » :

A cette fin, elle ne doit pas :

1° Inciter directement les mineurs à l’achat d’un produit ou d’un service en exploitant leur inexpérience ou leur crédulité ;

2° Inciter directement les mineurs à persuader leurs parents ou des tiers d’acheter les produits ou les services concernés ;

3° Exploiter ou altérer la confiance particulière que les mineurs ont dans leurs parents, leurs enseignants ou d’autres personnes ;

4° Présenter sans motif des mineurs en situation dangereuse ».

Article 7 du Décret n°92-280 du 27 mars 1992 pris pour l’application des articles 27 et 33 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 et fixant les principes généraux définissant les obligations des éditeurs de services en matière de publicité, de parrainage et de télé-achat (article modifié par le décret 2001-1331 2001-12-28 art. 2 et 4 JORF 29 décembre 2001).

Une protection européenne ?

La directive européenne 2010/13/UE aborde notamment le problème de la publicité.

Par conséquent, elles [les communications commerciales audiovisuelles] ne doivent pas inciter directement les mineurs à l’achat ou à la location d’un produit ou d’un service en exploitant leur crédulité, inciter directement les mineurs à persuader leurs parents ou des tiers d’acheter les produits ou les services faisant l’objet de la publicité, exploiter la confiance particulière que les mineurs ont dans leurs parents, leurs enseignants ou d’autres personnes, ou présenter sans motif des mineurs en situation dangereuse ».

Directive 2010/13/UE du Parlement européen et du Conseil du 10 mars 2010 visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres relatives à la fourniture de services de médias audiovisuels.

Enfin, il peut être utile de mentionner la convention européenne sur la télévision transfrontalière qui mentionne, en son article 11, que « la publicité et le télé-achat destinés aux enfants ou faisant appel à des enfants doivent éviter de porter préjudice aux intérêts de ces derniers et tenir compte de leur sensibilité particulière ».

La protection des mineurs est actuellement mise en oeuvre par le CSA. Par exemple, l’Assemblée plénière était intervenue auprès de NT1, qui avait diffusé, en milieu de journée, une publicité destinée à un public adulte :

Il a considéré que ce manquement était d’autant plus regrettable que cette diffusion s’est déroulée à délai rapproché d’une série familiale et entre deux publicités en faveur de produits destinés en partie aux enfants.

Décision de l’Assemblée plénière du CSA du 1er octobre 2014, publiée le 23 octobre 2014, consultable ici.

 

La proposition de loi est donc radicale. Celle-ci pourrait modifier la loi de 1986. Il est à noter que la proposition de loi exclut les campagnes d’intérêt général ainsi que les « publicités non commerciales pour des biens ou services présentés sous leur appellation générique ». Si l’application de ce nouvel article VI bis de la loi de 1986 engendre des charges pour l’État, il est prévu une compensation par la création d’une « taxe additionnelle aux droits sur les tabacs ».

Pour aller plus loin :

  • Exemple de la Suisse : loi fédérale sur la radio et la télévision entrée en vigueur le 1er avril 2007, art. 13, al. 1er. Dossier à consulter ici.
  • Exemple de l’Allemagne : document à consulter ici (en Allemand).

 

  • Proposition de loi enregistrée à la Présidence du Sénat le 24 juillet 2015 relative à la suppression de la publicité commerciale dans les programmes jeunesse de la télévision public, site du Sénat.
  • Loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication.
  • Décret n°92-280 du 27 mars 1992 pris pour l’application des articles 27 et 33 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 et fixant les principes généraux définissant les obligations des éditeurs de services en matière de publicité, de parrainage et de télé-achat.
  • Recommandation du 7 juin 2006 aux éditeurs de services de télévision relative à des pratiques publicitaire liées à la diffusion d’oeuvres d’animation et de fiction à destination des mineurs.
  • Recommandation n° 2006-4 du 7 juin 2006 aux éditeurs de services de télévision relative à des pratiques publicitaires liées à la diffusion d’oeuvres d’animation et de fiction à destination des mineurs.
  • Délibération n°2011-09 du 27 avril 2011 relative aux conditions de diffusion, par les services de télévision et de radio, des communications commerciales en faveur d’un opérateur de jeux d’argent et de hasard légalement autorisé.
  • Directive 2010/13/UE du Parlement européen et du Conseil du 10 mars 2010 visant à la coordination de certaines dispositions législtaives, réglementaires et administratives des Etats membres relatives à la fourniture de services de médias audiovisuels.
  • Convention européenne sur la télévision transfrontière.

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