Valentin Boullier

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Cour suprême du Canada, 11 décembre 2014, R. c. Fearon, 2014 CSC 77, 35298 décembre 13, 2014

Deux individus sont interpellés après la commission d’un vol avec violence envers une commerçante. Ceux-ci sont alors fouillés par la police, qui découvre sur l’un d’eux un téléphone portable non protégé par un mot de passe. Les policiers procèdent alors à l’examen de ce téléphone à plusieurs reprises :

  • lors de l’interpellation des deux individus ;
  • deux heures après leur interpellation ;
  • quelques mois plus tard, la police ayant obtenu un mandat leur autorisant à procéder à un examen de l’appareil.

Lors des deux premiers examens, les policiers découvrent des informations (message texte et photo d’une arme de poing) tendant à établir la culpabilité des deux personnes interpellées. Aucun autre élément de preuve ne pourra être découvert lors du troisième examen. Ainsi, les seuls éléments de preuve consistaient en les éléments découverts lors des deux premiers examens du téléphone.

En l’espèce, le propriétaire du téléphone soutenait que les forces de police ne disposaient pas des pouvoirs nécessaires pour opérer la fouille de son téléphone portable. Ainsi, l’article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés, disposant que Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives, aurait été violé.

En première instance, les éléments de preuve sont favorablement accueillis, et le propriétaire du téléphone est reconnu comme l’auteur d’un vol qualifié. L’appel, interjeté par celui-ci, est rejeté.

La Cour suprême du Canada devait donc se prononcer sur la problématique de la fouille des téléphones portables par les forces de l’ordre, dans le cas où celles-ci ne disposaient pas du mandat approprié. La Cour rejette, par une courte majorité (sur les sept juges, trois formulent une opinion dissidente), le pourvoi.

La décision de la Cour suprême est importante, en raison notamment du vocabulaire employé. Les juges rappellent l’intérêt de procéder à de telles fouilles : identification des auteurs d’un délit ou d’un crime, découverte d’armes à feu, découverte d’éléments de preuve,  »etc ». Devant des impératifs de sécurité publique, les juges déclarent ainsi que

« Les fouilles de téléphone cellulaire répondent aussi à des considérations d’urgence, ce qui justifie l’élargissement du pouvoir de fouille accessoire à l’arrestation »

Or, ces fouilles doivent être très strictement encadrées en raison de leur effet liberticide. Ainsi, les juges utilisent le terme « équilibre », afin d’illustrer l’impérative conciliation entre le maintien de l’ordre public et les droits et libertés fondamentaux. Les juges de la Cour suprême proposent ainsi de renforcer les garanties des citoyens en modifiant le régime actuel et estiment que quatre conditions devraient impérativement être respectées :

  • l’arrestation doit répondre aux exigences légales : une fouille faisant suite à une arrestation arbitraire conduirait ainsi au rejet des éléments de preuve obtenus;
  • la fouille doit « véritablement » être accessoire à l’arrestation : une fouille arbitraire conduirait également au rejet des éléments de preuve;
  • la proportionnalité entre la fouille et l’objectif recherché;
  • la prise de « notes » par les forces de police procédant à la fouille. Ces notes doivent notamment porter sur les éléments fouillés et la méthode utilisée, et seront examinées lors du contrôle judiciaire.

En l’espèce, les juges reconnaissent que la fouille a violé les droits de la personne interpellée. En revanche, ils écartent l’argument visant à faire rejeter les éléments de preuve obtenus par cette fouille, l’atteinte à la vie privée n’étant « pas particulièrement grave ». Les juges relèvent également que le mandat ayant permis le troisième examen du téléphone portable n’a pas été contesté : ainsi, l’incidence sur la vie privée est identique :

« il y aurait eu d’une façon ou d’une autre une incidence sur ses intérêts en matière de respect de la vie privée, et la violation dans ce cas n’a pas changé considérablement la nature de cette incidence »

Enfin, et nous atteignons le passage le plus important de la décision, les juges estiment que si les policiers ont commis une « erreur » en procédant à une telle fouille, ceux-ci ont fourni un « état détaillé » des examens effectués : dès lors, les juges en concluent qu' »une erreur honnête, commise raisonnablement, ne constitue pas une inconduite de l’État qui exige l’exclusion des éléments de preuve ».

Les juges majoritaires concluent leur argumentation en estimant que l’exclusion des éléments de preuve pourrait conduire à porter atteinte aux intérêts de la société :

« L’intérêt de la société à ce que l’affaire soit jugée au fond milite aussi en faveur de l’admission de la preuve : les éléments de preuve sont convaincants et fiables, et leur exclusion minerait la fonction de recherche de la vérité du système de justice ».

Les juges dissidents optent pour une argumentation sensiblement différente, et soulignent le rôle particulier remplit par un téléphone portable. Celui-ci ne constituant pas une arme pouvant mettre en danger la vie des forces de l’ordre, les données privées qu’il contient nécessitent une protection particulière. Les juges dissidents semble être satisfaits du régime consistant à autoriser les fouilles de tels appareils en fonction de l’urgence : ainsi, la destruction de preuve par un téléphone portable peut conduire à sa fouille immédiate, dans le cas où il existe des « motifs raisonnables » de soupçon. Ils concluent ainsi que

« l’important intérêt qu’une personne arrêtée porte au respect de sa vie privée à l’égard de son appareil numérique personnel l’emporte sur l’intérêt qu’a l’État à effectuer une fouille sans mandat accessoire à l’arrestation »

Les juges dissidents estiment également peu pertinentes les modifications proposées par les juges majoritaires, qui pourraient « engendrer l’incertitude » chez les policiers, qui « ne sont pas les mieux placés pour déterminer si les objectifs d’application de la loi l’emportent clairement sur l’atteinte potentiellement importante à la vie privée que constitue la fouille d’un appareil numérique ».

Enfin, les juges dissidents estiment que l’acceptation des éléments de preuve conduirait à « déconsidérer l’administration de la justice », et non pas à miner « la fonction de recherche de la vérité du système de justice ».

La décision peut être librement consultée ici.

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